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 MANIAC

Une master class qui décoiffe

Par Sam Soursas

  Sur les Grands Boulevards, des dizaines de corps impatients d'entrer tentent de se réchauffer devant le mythique cinéma mono-écran Max Linder Panorama. A peine le froid a-t-il le temps d'engourdir les extrémités des privilégiés que les portes s'ouvrent enfin...

  En s'engouffrant dans l'antre baptisée du nom de l'acteur-réalisateur burlesque, le quidam sait qu'il va assister à la projection d'un film particulier et que celui-ci sera suivi d'une master class en présence d'Alexandre Aja, éternel barbu à la coiffure indescriptible, de Rob, exhibant la barbe également mais à la masse capillaire plus longue et de Nora Arnezeder, la chevelure impeccablement maintenue respectivement producteur / co-scénariste, compositeur et actrice.

  Au-delà des affiches du film en grand format, le hall se distingue par la présence de nombreux mannequins au regard fixe qui, à l'image du film, interpellent et imposent une atmosphère certaine.

Sur le bar, dans les escaliers ou les alcôves, recouverts de giclées d'hémoglobine ou coiffés de scalps sanguinolents, ces personnages à part entière du film qui va suivre, jalonnent le chemin pour la salle obscure.

  A l'intérieur de celle-ci, l'une des premières à être agréée THX sur Paris, quelques-unes de ces formes immobiles et inquiétantes occupent çà et là quelques fauteuils parmi les 616 places que se partagent l'orchestre, la mezzanine et le balcon... Ambiance assurée !

Présentation

« Mais ta chevelure est une rivière tiède,

Où noyer sans frissons l'âme qui nous obsède

Et trouver ce Néant que tu ne connais pas ! Â»

                                                                                     Stéphane Mallarmé, Poésies.

Le 11 décembre 2012, 24 Boulevard Poissonnière, 20h30

  La nuit est tombée sur la capitale désormais illuminée.

  Pas plus rasé de près que ces invités, Fausto Fasulo (rédacteur en chef du magazine Mad Movies) fait son entrée sur scène pour présenter le film. Suite à un échange avec le public et en guise de surprise, il cède courtoisement sa place « ...à quelqu'un de certainement plus intéressant que moi ! Â» :

  Lentement plongée dans l'obscurité, la salle voit l'intensité de ses lumières baissée. Le voile de la pénombre recouvre intégralement le visage de chaque âme composant le public.

  L'écran de 107 mètres carrés s'illumine monopolisé par un visage au regard perçant.

Charmeur, l'acteur américain Elijah Wood s'adresse en un court monologue aux spectateurs. Pour conclure, il exprime son envie de croiser chacun de nous dans une rue... sombre... la nuit...

Regard ténébreux à l’appui !

  La première bobine se lance : sur la toile, le film commence...

Synopsis

   Franck Zito est propriétaire d'une boutique de mannequins qu'il restaure et... coiffe du scalp de ses victimes ! En effet, il ne se coupe pas les cheveux en quatre pour répondre aux pulsions meurtrières qui le submergent lorsqu'il croise le chemin d'une femme après le crépuscule. Devant La Petite Boutique des horreurs, il fait la connaissance d'Anna, une jeune artiste photographe. Partageant la passion pour les mannequins, celle-ci lui en loue pour sa nouvelle exposition. Parallèlement à leur relation grandissante, il développe férocement ses pulsions meurtrières.

  Tueur à la sensibilité épidermique derrière une apparence inoffensive, Franck s'avère être effrayant et sans pitié...

Avis

  Refaire le film éponyme de William Lustig de 1980, toujours considéré comme l'une des références du cinéma de genre, il y avait de quoi se faire des cheveux blancs... Au final, ce Maniac relève haut la main la traversée du terrain glissant (ou plutôt ultra-gominé) qui amène à une relecture réussie. C'est Franck Khalfoun, complice d'Alexandre Aja, qui s'y colle en signant là son 3ème long après 2ème sous-sol (2007) et Engrenage fatal (2009). Nous y retrouvons une multitude de scènes telles que celle de l'étranglement suivi du vomissement puis du scalp, celle du restaurant, du métro, de la baignoire, etc. Mais le plaisir s'en retrouve décuplé lorsque nous découvrons un « héros Â» bien plus étoffé et assistons à une nette amélioration de la relation entre les deux protagonistes qui était plus que tirée par les cheveux dans l'original.

 Tandis que certaines scènes fleurent bon l'ambiance poisseuse, d'autres éclaboussent littéralement de ce chaud liquide écarlate qui tache. Violence physique ou morale, personnages sensibles et touchants, mise en scène originale, tout est bon pour combler ou déranger à souhait.

  Notons un clin d’œil appuyé aux « origines Â» du genre lorsque les protagonistes assistent à la projection du chef-d’œuvre du cinéma expressionniste : Le Cabinet du docteur Caligari. Titre loin d'être placé ici inconsciemment...

 

  A l'ère fragile des remakes de classiques du cinéma d'horreur, Maniac, le premier de cette année dans les salles obscures, coiffe au poteau maints de ces confrères !

            

  Pour les puristes, le manque de grains à l'image représente le cheveu sur la soupe qui empêche cette version de se hisser au faîte de l'échelle nauséabonde atteint par son modèle.

Résultat  moins « odorant Â» peut-être, mais pas réellement de quoi s'arracher les cheveux. Car sans chercher à surpasser l’œuvre originelle, la version 2012 atteint ce niveau élevé que beaucoup s’accorderont à qualifier de touchant et abominable, émouvant et brutal ou encore triste et sordide.

  Quoi qu'il en soit, ce nouveau film ne se veut nullement être un substitut à l'original mais se présente plutôt son fier et digne successeur. C'est une proposition à la fois novatrice et intéressante ; un complément cohérent avec son prédécesseur en somme.

Master class

  Chaleureuses et réconfortantes, les lumières se rallument enfin...

  Mesurant la portée de ce qu'ils viennent de voir, les mannequins siégeant à nos côtés continuent de fixer la toile, imperturbables. Quant aux autres spectateurs, ceux « de chair Â», c'est l'esprit encore ébaubi qu'ils s'impatientent à l'idée de ce qui va suivre.

 Un subtil amalgame de plaisir(s) et d'excitation se fait ressentir dans la grande salle : quelle sensation de rencontrer en chair et en os les personnes responsables du patchwork sentimental que la projection vient d’insuffler à chacun !

  

 C'est évidemment sous une explosion d'applaudissements que Nora Arnezeder, Rob et Alexandre Aja sont accueillis sur scène par Fausto Fasulo (ayant préféré se raser lui-même le cuir chevelu, afin que personne ne touche un cheveu de sa tête ...).

 

 Durant près d'une heure s’ensuit une discussion passionnée et allègre qui nous initie sur le fond du projet, de sa genèse jusqu'à ce jour.

  Sur la scène située au pied de l'écran, chacun s'installe sur la chaise qui lui est destinée ; le jeu des questions-réponses mené par l'organisateur au crâne vierge peut commencer.

  C'est au réalisateur du remake de La colline a des yeux, Mirrors, Piranha 3D..., véritable passionné de films du genre qui officie, ici, en tant que producteur et scénariste, qu'est adressée une simple question... qui allume la mèche : 

« Mon premier souvenir de Maniac ? C'est le visuel d'une cassette vidéo marquant, très fort et extrêmement violent : un scalp dans une main, un couteau dans l'autre, un jean... Â»

                                                                                                                                 Alexandre Aja

Visuel que l'on retrouve comme rapide clin d’œil dans la scène du parking de cette version.

« C'était la fameuse collection René Château Video : les films que vous ne verrez jamais à la télévision ! surenchérit Fausto (rires nostalgiques dans la salle habillée de noir). Â»

 

  Le cinéaste raconte que, trop jeune pour le visionner au moment de sa sortie, il découvrira le film du neveu du boxeur Jake La Motta quelques années plus tard en compagnie d'un certain Grégory Levasseur...

 

  Puis, c'est une déferlante de questions qui, de toutes parts, assiègent l'homme. Par souci de lisibilité, nous classons là les sujets adressés au producteur / co-scénariste par thèmes :

 

La production :

  Hésitant, voire ré'tif, à l'idée de refaire ce film d'exploitation devenu culte pour des générations de cinéphiles, il s'est vu soutenu par Thomas Langmann et William Lustig lui-même (réalisateur de l'original, son premier film non pornographique (sous le pseudonyme de Billy Bagg) avant la trilogie Maniac Cop). Celui-ci lui avoua qu'il se sentirait en confiance si c'était lui qui supervisait l'aventure.

Aja explique :

« C'est méconnu, mais Thomas Langmann (dirigeant en collaboration avec Emmanuel Montamat de La Petite Reine, société de production à laquelle nous devons The Artist, Star 80, Astérix, NDLR) est un grand fan de genre et plus encore du premier Maniac! Il est vraiment à l'initiative du projet : c'est lui qui est venu avec cette idée et qui a fait venir William Lustig à Paris. Â»

Le scénario :

 

« La première version du scénario allait dans la même direction que l'original. Il se trouve que j'ai déjà fait mon remake de Maniac avec Haute Tension (…) donc je n'avais pas envie de refaire ces moments de bravoure. On a donc produit le même travail que sur La colline a des yeux : on reprend l'histoire, les personnages et on a creusé, développé le pourquoi... En accentuant son fétichisme des mannequins, on en arrive à développer sa mère, son angoisse, etc. C'est vraiment ce travail d'écriture qui permet de partir de l'essence de l'original et d'arriver à l'amener à un endroit, je l'espère, un peu plus riche et plus intéressant. Â»

 

  Effectivement cela se voit à l'écran : la réécriture permit d'approfondir les personnages et, par la force des choses, bien d'autres éléments quelque peu tirés par les cheveux auparavant (mannequins, romance...). Par bonheur, l'accent fut mit sur la tristesse et le désarroi de Franck...

Combler les trous de narration et éclaircir le passé du protagoniste a suggéré d'étoffer celui-ci, mais amener de l'empathie pour ce tueur reste définitivement la meilleure idée !

« L'empathie pour le personnage vient de la peur d'être abandonné, la peur d'être seul, la peur de ne pas être aimé et la colère de ne pas l'être. Grâce à cette compréhension, on dépasse le fait que ce soit un monstre pour faire réfléchir à une sorte de fable sur notre propre vie. Â»

 

  En écoutant le metteur en scène, nous apprenons aussi qu'il n'a pas réalisé ce long car le projet est né lors de la fin du tournage de Piranha 3D. Il fut très vite question que ce soit son collaborateur et ami de toujours Grégory Levasseur qui le prenne en main. Il s'en est fallu d'un cheveu pour qu'il le mette en scène mais, pour des raisons personnelles, Grégory le mit de côté et c'est leur complice, Franck Khalfoun, qui en hérita.

  Alexandre Aja, plus attiré par la production ou la réalisation ?

« Ce sont deux choses différentes ! La réalisation avant tout, mais c'est vrai que la production entre deux films, quand on écrit, c'est formidable ! On peut participer à un film sans en être complètement l'otage. Â»

 

« Mon investissement personnel a toujours été le même : je voulais accompagner ce film au-delà de l'écriture, être là sur le plateau, en préparation et ce, jusqu'à la fin de sa fabrication ; mais en tant que producteur, pas en tant que réalisateur. J'avais le sentiment d'avoir déjà exploré les terres de Maniac avec Haute Tension et je n'avais pas envie de refaire quelque chose de similaire (…). Â»

 

La ville :

 

  Alexandre reconnaît que dans l'original, New York est un personnage à part entière. Dans le film de Lustig, la ville la plus peuplée des Etats-Unis sent « ... la pisse Â». Mais ce climat poisseux ayant disparu, rendant les rues de Big Apple « aseptisées Â», les prises de vues pour cette version ont eues lieu à Downtown, quartier de Los Angeles  déserté le soir, dans lequel il avait déjà tourné une partie de Mirrors.

 

La caméra subjective :

  Du premier plan d'Halloween, en passant par Les Dents de la mer ou l'ouverture du Maniac original, etc, l'histoire du plan subjec'tif permettant de créer la proximité au cinéma est autant parsemée d'acclamations que de désapprobations...

Concevoir 99 % du long métrage à la première personne par les yeux du meurtrier, entendre sa voix, subir ses migraines, ressentir ses émotions (le reste n'étant que « out of body experiences Â» : décadrages emplis de sens marquant son détachement à certaines situations « trop jouissives Â» à ses yeux) : Un défi osé qui fonctionne grâce à l'interprétation des acteurs et à l'association de talents hors pair.

  Dès le départ, cette décision fut prise par les scénaristes et il leur a fallu s'y tenir malgré la difficulté et les frustrations engendrées sur le plateau : le film existe par ce concept !

A ce sujet, Alexandre déclare :

 

« A chaque instant on se dit : pourquoi ne pas faire quelque chose de plus classique ? Mais l'originalité sur un film, étant déjà un classique, était nécessaire sinon à quoi bon le refaire ? Â»

 

… Phrases douces et onctueuses aux oreilles des spectateurs épuisés de subir des remakes s’apparentant à de pâles contrefaçons sans intérêt...

  Répondant à un intervenant mettant en relation l’œuvre avec Schizophrenia de Gerald Kargl en 1983 et Seul contre tous de Gaspard Noé en 1998 (avec Philippe Nahon aussi mis en scène par Aja dans Haute Tension en 2003), c'est sans réfuter ces références que celui-ci répond que l'influence majeure du film est surtout dû à La Femme défendue de Philippe Harel en 1997 avec Isabelle Carré :

« Ce film avait quelque chose d'assez fort qui était une immersion dans une histoire d'adultère sans pour autant faire tomber le tout dans des plans-séquences, grand-angle avec une main en avant... Le côté subjectif avec le côté où la forme dépasse le fond, c'est-à-dire que c'est un exercice au lieu d'être un élément de la narration. J'avais envie de trouver le moyen où l'on est en vue subjective qu'on l'oublie pour entrer dans l'histoire. La technique n'est qu'un élément et pas le but ultime de ce concept. Â»

  Nous apprenons que ce parti pris a été envisagé dès l'écriture du scénario et ...

 

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